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L’hypnose ce n’est pas toujours sĂ©rieux !

Il n’est pas facile d’avoir une idĂ©e prĂ©cise de la pratique de l’hypnose mĂ©dicale en France. Si les milieux hospitaliers l’ont intĂ©grĂ©e dans des protocoles anesthĂ©siques, notamment pour des interventions en ambulatoire et pour le traitement de la douleur, il est plus difficile de savoir ce qu’il en est de l’hypnose en cabinet, autrement appelĂ©e hypnose de ville.

Hypnose Ă  l'ancienne

 De plus en plus d’offres

Les cabinets d’hypnose se sont multipliĂ©s ces dix derniĂšres annĂ©es. Au dĂ©part, ils Ă©taient surtout prĂ©sents dans les grandes et moyennes agglomĂ©rations, mais ils ont commencĂ© depuis peu Ă  s’implanter dans des villes de moins de 5000 habitants. Pour ce qui concerne l’agglomĂ©ration d’Elbeuf – lieu oĂč j’exerce – on dĂ©nombre pas moins de 8 hypnothĂ©rapeutes (En fĂ©vrier 2024).

On pourrait Ă©videmment se rĂ©jouir d’une offre plĂ©thorique, sauf que se pose encore et toujours la question de la qualitĂ© du soin et de l’honnĂȘtetĂ© du praticien.

Pour ceux qui l’ignorent, je rappelle que la pratique de l’hypnose n’est pas rĂ©glementĂ©e en France. Il existe bien quelques syndicats et associations qui essayent de s’y atteler pour dĂ©finir une offre de qualitĂ©, mais le chantier est tellement Ă©norme que pour l’instant, la rĂ©glementation de l’hypnose reste un serpent de mer. Alors en attendant de trouver un consensus, les bonnes et les mauvaises pratiques continuent de se tĂ©lescoper.

Mais qu’entend-on par rĂ©glementation ? S’agit-il d’exclure tout praticien ne disposant d’aucune formation mĂ©dicale ou paramĂ©dicale ? Et pour l’apprentissage ? Faut-il privilĂ©gier les centres publics de formation ou bien les instituts privĂ©s ?

Difficile de répondre.

Aller voir un docteur en mĂ©decine faisant de l’hypnothĂ©rapie ne garantit aucunement au patient un soin d’hypnose de meilleure qualitĂ©. On peut nĂ©anmoins se rassurer en considĂ©rant que le thĂ©rapeute appliquera la mĂȘme Ă©thique que pour un soin de mĂ©decine gĂ©nĂ©rale. Quant Ă  l’hypnothĂ©rapeute qui n’est pas issu du monde du soin, il peut certes s’imposer une Ă©thique, mais il n’en a pas rĂ©glementairement l’obligation. En cas de litige, il y a Ă©ventuellement possibilitĂ© de recourir Ă  la justice, mais les juges sont assez rarement saisis dans les cas de manipulation.

Difficile dans ces conditions pour un patient de faire un choix. La plupart du temps, il préférera se rendre chez un praticien dont un ami ou un proche lui aura dit le plus grand bien. Là encore, une recommandation est rassurante, mais aucunement une garantie de qualité.

Nous venons de le voir, la profession n’étant pas – encore – rĂ©glementĂ©e, n’importe-qui peut lire un article sur l’hypnose et dĂ©cider de poser sa plaque pour commencer Ă  proposer ses services : c’est aussi simple que ça !

Comment alors caractĂ©riser une bonne d’une mauvaise pratique ? Doit-on privilĂ©gier le diplĂŽme ? L’anciennetĂ© ? Et comment savoir si un praticien est sĂ©rieux ?

Je sais que pour ma part, mes premiers patients ont essuyĂ© les plĂątres de mon manque d’expĂ©rience et de mes hĂ©sitations. Quand on dĂ©bute, on tĂątonne toujours sur la mĂ©thode et on hĂ©site parfois sur le choix des techniques. Les hypnothĂ©rapeutes dĂ©butants vont se rassurer en ayant sous la main des scripts d’hypnose et des protocoles flĂ©chĂ©s. La plupart de ces outils sont bien faits et ils sont mĂȘme trĂšs utiles quand on dĂ©bute. En ce qui me concerne, j’ai utilisĂ© pas mal de scripts la premiĂšre annĂ©e de mon exercice. Cette personne a du mal Ă  s’endormir, alors essayons la mĂ©thode dĂ©crite en page 35 du manuel. Cette autre personne a la phobie des chiens ? Voyons voir ce que pourrait donner la technique dĂ©crite page 63 ! Avec le temps, un bon praticien deviendra un expert du sur-mesure. L’expĂ©rience aidant, on finit par s’affranchir du prĂȘt-Ă -porter et on expĂ©rimente de plus en plus de choses dont certaines seront redoutablement efficaces.

La formation

La pratique n’est pas l’unique critĂšre. Il y a la question lĂ©gitime de la formation. Depuis une vingtaine d’annĂ©es, les centres de formation en hypnose se sont multipliĂ©s sur tout le territoire français. Certains sont privĂ©s et d’autres publics. Peu de gens le savent, mais les universitĂ©s – et pas que les universitĂ©s de mĂ©decine – forment Ă  l’hypnose. NĂ©anmoins, il existe une offre privĂ©e de qualitĂ©.

Si vous souhaitez vous former Ă  l’hypnose, je conseillerais plutĂŽt l’enseignement public. Mais parfois, il faut exercer une profession mĂ©dicale ou paramĂ©dicale pour pouvoir s’inscrire. Dans ce cas, et ce fut le mien, il faut se tourner vers un centre privĂ©, en espĂ©rant que la formation soit de qualitĂ©. Beaucoup le sont. Mais il existe de nombreux centres qui proposent de l’hypnose uniquement parce que c’est Ă  la mode et qu’un nouveau modĂšle Ă©conomique est en train de surgir. En gĂ©nĂ©ral, il est assez facile de les dĂ©masquer. Car ils proposent des modĂšles de formations Ă  tiroirs, tout simplement pour inciter le client Ă  acheter non pas une, mais plusieurs formations. On commence gentiment par une formation de base, pour ensuite tenter de devenir hypnothĂ©rapeute confirmĂ©, puis maĂźtre-hypnothĂ©rapeute et pourquoi pas – s’il vous reste un peu de monnaie, formateur hypnothĂ©rapeute. On croirait presque les formules reiki niveau 1, reiki niveau 2, 3 et ainsi de suite.

Je n’émets pas de jugement sur la qualitĂ© des formations dans ces centres. Elles sont certainement trĂšs bonnes, mais pourquoi dĂ©penser des fortunes alors que les universitĂ©s proposent des formations identiques pour un coĂ»t plus abordable ? Il est possible que certaines universitĂ©s n’exigent pas de diplĂŽme mĂ©dical ou para mĂ©dical pour s’inscrire. Enfin, il existe des centres qui prennent un peu l’exemple sur les universitĂ©s pour proposer des formations longues, correspondant Ă  une annĂ©e universitaire. Cette maniĂšre de faire me semble assez cohĂ©rente.

Enfin, si vous souhaitez faire de l’hypnose de maniĂšre professionnelle et sĂ©rieuse de grĂące, Ă©vitez les centres qui incluent de la PNL dans leurs formations. Je parlais plus haut de rĂ©glementation de l’hypnose, et l’allusion Ă  la rĂ©glementation est d’autant plus pertinente que l’hypnose thĂ©rapeutique et / ou mĂ©dicale doit prendre ses distances avec des pratiques qui ne font pas consensus dans les milieux scientifiques. La PNL en fait partie et je ne comprendrais pas que l’on cesse d’un cĂŽtĂ© de rembourser l’homĂ©opathie pour de l’autre valider des pratiques relevant des pseudosciences.

Tout cela m’amĂšne Ă  aborder le dernier point : Comment faire de l’hypnose sĂ©rieusement ?

Hypnose sérieuse ou bullshit ?

(Bullshit, littéralement merde de taureau. Se dit de quelque-chose non fondé, foutaises)

L’hypnose est une pratique relativement nouvelle, multiforme, avec ses orientations, ses passions et naturellement ses dĂ©mons. Elle fraye parfois avec des mĂ©thodes qui n’ont jamais Ă©tĂ© validĂ©es par la science, mais qui restent tenaces dans l’imaginaire collectif. Ainsi, il n’est pas rare de trouver des hypnothĂ©rapeutes qui sont Ă©galement magnĂ©tiseurs. Personnellement, je pense qu’ils peuvent ĂȘtre d’excellents hypnothĂ©rapeutes pour soigner la douleur, mais je ne crois pas que l’imposition des mains y soit pour quelque-chose. Il existe en outre des hypnotiseurs quantiques dont la fonction est de vous permettre un rĂ©Ă©quilibrage des particules Ă©lĂ©mentaires de votre physiologie. Dans ce cas, pas besoin de possĂ©der un Prix Nobel de physique pour dĂ©celer l’arnaque, car le mot quantique est trĂšs souvent accolĂ© Ă  des thĂ©rapies douteuses uniquement pour leur donner un vernis scientifique voire high tech. Enfin, vous avez les hypnotiseurs qui vous permettent de voyager dans des vies antĂ©rieures, avec tous les risques d’emprise mentale que cela comporte, parce qu’une telle vision de l’hypnose confĂšre au thĂ©rapeute une sorte de pouvoir magique. J’insiste beaucoup sur ce point. AprĂšs les Ă©pisodes de COVID, le doute, la mĂ©fiance, pour ne pas dire dĂ©fiance Ă  l’Ă©gard de la science sont devenus une pratique courante. Une aubaine pour les gourous et les dĂ©rives thĂ©rapeutiques sectaires.

Le cinĂ©ma et les clichĂ©s sur l’hypnose.

L’hypnose est un ingrĂ©dient assez souvent prĂ©sent dans les productions cinĂ©matographiques et ce, depuis l’invention du cinĂ©ma. En 1922, le Docteur Mabuse de Fritz Lang usait de ses talents d’hypnotiseur pour sĂ©duire et manipuler une bourgeoisie allemande dĂ©sƓuvrĂ©e. En 1967, Disney s’attelle Ă  l’adaptation du roman de Rudyard Kipling en mettant en scĂšne le python Kaa, dont les yeux aux teintes psychĂ©dĂ©liques hypnotisaient Mowgli. Plus tard en 1999, c’est le film Hypnose avec Kevin Bacon puis Trance, de Danny Boyle avec Vincent Cassel. La liste n’est Ă©videmment pas exhaustive, car les films Ă©voquant l’hypnose sont lĂ©gion. Je ne peux au passage faire l’impasse sur Get Out de Jordan Peele qui est un excellent thriller social.

À ma connaissance, la plupart de ces films ne parviennent pas Ă  Ă©viter les clichĂ©s sur l’hypnose. MĂȘme le trĂšs bon Get Out de Peel n’y Ă©chappe pas en faisant de l’ancrage une arme absolue entre les mains d’un hypnotiseur tout puissant et malintentionnĂ©. DerniĂšrement, Netflix proposait un film intitulĂ© Hypnotic avec Kate Siegel, actrice que j’avais repĂ©rĂ©e dans les trĂšs bonnes sĂ©ries Ă©crites par Mike Flanagan – the Haunting of Hill House, The Haunting of Bly Manor et Midnight Mass. Malheureusement, le film Hypnotic collectionne les pires clichĂ©s sur l’hypnose et l’intrigue cousue de fil blanc n’arrive pas Ă  relever le niveau. Pour autant, ce film a eu Ă©normĂ©ment de succĂšs sur la plate-forme de streaming. Comment expliquer ce phĂ©nomĂšne ? Probablement en raison de l’image surnaturelle de l’hypnose vĂ©hiculĂ©e par le cinĂ©ma et la tĂ©lĂ©vision. C’est un fait : l’hypnose fascine autant qu’elle effraie, et on comprend pourquoi certaines personnes pensent qu’elle puisse permettre de prendre le contrĂŽle absolu sur une personne.

Get Out avait intelligemment explorĂ© la technique de l’ancrage avec la scĂšne de la cuillĂšre qui tourne dans la tasse de thĂ©. Sur ce point, l’idĂ©e n’est pas saugrenue en ce qu’elle s’appuie sur un ancrage auditif. Le bruit de la cuillĂšre replongeant l’acteur Daniel Kaluuya en hypnose. Les hypnothĂ©rapeutes utilisent assez souvent l’ancrage qui est un processus naturel chez l’ĂȘtre humain. La Madeleine de Proust est une dĂ©finition littĂ©raire assez poussĂ©e de l’ancrage, mais l’exemple le plus simple est l’ancrage qui permet de ramener un patient vers un souvenir agrĂ©able de son enfance ou vers un lieu idĂ©al et sĂ©cure. Cette technique est trĂšs efficace pour aider les patients stressĂ©s avant un examen ou pour favoriser l’endormissement. Cependant, il est utile de prĂ©ciser que l’ancrage n’est pas une arme absolue. D’une part, parce qu’un ancrage est souvent limitĂ© dans le temps et ses effets finissent par s’estomper, sauf si le patient l’entretien en pratiquant assidĂ»ment l’auto-hypnose. Dans ce cas, il pourra le renforcer ou fabriquer ses propres ancrages. D’autre part, parce qu’un ancrage n’est jamais suffisamment puissant pour obliger quelqu’un Ă  faire quelque chose qu’il ne souhaiterait pas. Cela veut dire qu’en dehors de la fiction, quelqu’un ne peut ĂȘtre sous la contrainte totale d’un hypnotiseur malveillant. Dans la vraie vie, l’hypnothĂ©rapeute du film Hypnotic ne parviendrait pas Ă  prendre le contrĂŽle de sa patiente et encore moins la forcer Ă  commettre des actes qui la mettraient en danger. Les clichĂ©s ont pourtant la vie dure et il m’arrive assez souvent de recevoir des patients qui m’expliquent avoir longuement hĂ©sitĂ© avant de venir en consultation du fait des avertissements de leur entourage sur les dangers de l’hypnose. Bien souvent, j’utilise la plaisanterie pour dĂ©sacraliser cette vision des choses en expliquant que si un tel pouvoir existait, il me suffirait de fabriquer un ancrage auprĂšs de mon banquier pour effectuer ensuite des retraits qui ne seraient pas dĂ©bitĂ©s de mon compte. MalgrĂ© ces propos rassurants, le doute persiste et on ne peut que faire le constat d’une image de l’hypnose en dĂ©calage avec la rĂ©alitĂ© : image vĂ©hiculĂ©e par des films misant sur le spectaculaire pour ne pas dire le surnaturel. Cela ne manque pas d’ironie, quand on sait que le monde de la communication et notamment celui de la publicitĂ© maĂźtrise parfaitement les neurosciences pour influer nos dĂ©cisions. On parle alors de neuro-marketing. Ce mĂȘme neuro-marketing dont l’efficacitĂ© est dĂ©cuplĂ©e lorsqu’elle est couplĂ©e Ă  un profilage assez fin grĂące aux donnĂ©es rĂ©cupĂ©rĂ©es sur les rĂ©seaux sociaux. Dans ce cas, nul besoin d’hypnose pour guider une dĂ©cision ou inciter Ă  acheter tel produit plutĂŽt qu’un autre. Quand bien mĂȘme vous connaissez les techniques de manipulation mentale, vous vous ferez avoir.

Enfin, les films sur l’hypnose vĂ©hiculent souvent l’idĂ©e que celle-ci permettrait de faire ressurgir des souvenirs enfouis. Sous la conduite d’un hypnotiseur, le patient est susceptible d’accĂ©der Ă  des souvenirs cachĂ©s, la plupart du temps traumatisants. GrĂące Ă  ces « souvenirs Â» retrouvĂ©s, le patient va enfin pouvoir rĂ©soudre ses problĂšmes et remettre de l’ordre dans sa vie. Dans les annĂ©es 70 cette croyance Ă©tait malheureusement partagĂ©e par beaucoup de juges amĂ©ricains, au point d’envoyer pas mal d’innocents en prison. En toute bonne foi, les tĂ©moins Ă©taient mis sous hypnose et rapportaient de faux souvenirs, soit inventĂ©s, soit suggĂ©rĂ©s involontairement lors des interrogatoires de la police. Il aura fallu les travaux de chercheurs, notamment ceux d’Elisabeth Loftus, pour comprendre que le fonctionnement de la mĂ©moire Ă©tait bien plus complexe, pour ne pas dire subtil. La mĂ©moire humaine est dynamique, dĂ©pendant de nombreux processus complexes de perception et d’encodage, de stockage puis d’accessibilitĂ© et de rappel de l’information. Non, l’hypnose ne permet pas d’accĂ©der Ă  des souvenirs cachĂ©s prĂ©cis. Elle peut tout au plus faire remonter des fragments qu’il faudra manipuler avec prĂ©caution, car bien souvent restituĂ©s avec pas mal d’erreurs.

Pour aller plus loin sur les faux souvenirs :

https://www.afis.org/Hypnose-et-faux-souvenirs