L’hypnose est un ingrédient assez souvent présent dans les productions cinématographiques et ce, depuis l’invention du cinéma. En 1922, le Docteur Mabuse de Fritz Lang usait de ses talents d’hypnotiseur pour séduire et manipuler une bourgeoisie allemande désœuvrée. En 1967, Disney s’attelle à l’adaptation du roman de Rudyard Kipling en mettant en scène le python Kaa, dont les yeux aux teintes psychédéliques hypnotisaient Mowgli. Plus tard en 1999, c’est le film Hypnose avec Kevin Bacon puis Trance, de Danny Boyle avec Vincent Cassel. La liste n’est évidemment pas exhaustive, car les films évoquant l’hypnose sont légion. Je ne peux au passage faire l’impasse sur Get Out de Jordan Peele qui est un excellent thriller social.
À ma connaissance, la plupart de ces films ne parviennent pas à éviter les clichés sur l’hypnose. Même le très bon Get Out de Peel n’y échappe pas en faisant de l’ancrage une arme absolue entre les mains d’un hypnotiseur tout puissant et malintentionné. Dernièrement, Netflix proposait un film intitulé Hypnotic avec Kate Siegel, actrice que j’avais repérée dans les très bonnes séries écrites par Mike Flanagan – the Haunting of Hill House, The Haunting of Bly Manor et Midnight Mass. Malheureusement, le film Hypnotic collectionne les pires clichés sur l’hypnose et l’intrigue cousue de fil blanc n’arrive pas à relever le niveau. Pour autant, ce film a eu énormément de succès sur la plate-forme de streaming. Comment expliquer ce phénomène ? Probablement en raison de l’image surnaturelle de l’hypnose véhiculée par le cinéma et la télévision. C’est un fait : l’hypnose fascine autant qu’elle effraie, et on comprend pourquoi certaines personnes pensent qu’elle puisse permettre de prendre le contrôle absolu sur une personne.
Get Out avait intelligemment exploré la technique de l’ancrage avec la scène de la cuillère qui tourne dans la tasse de thé. Sur ce point, l’idée n’est pas saugrenue en ce qu’elle s’appuie sur un ancrage auditif. Le bruit de la cuillère replongeant l’acteur Daniel Kaluuya en hypnose. Les hypnothérapeutes utilisent assez souvent l’ancrage qui est un processus naturel chez l’être humain. La Madeleine de Proust est une définition littéraire assez poussée de l’ancrage, mais l’exemple le plus simple est l’ancrage qui permet de ramener un patient vers un souvenir agréable de son enfance ou vers un lieu idéal et sécure. Cette technique est très efficace pour aider les patients stressés avant un examen ou pour favoriser l’endormissement. Cependant, il est utile de préciser que l’ancrage n’est pas une arme absolue. D’une part, parce qu’un ancrage est souvent limité dans le temps et ses effets finissent par s’estomper, sauf si le patient l’entretien en pratiquant assidûment l’auto-hypnose. Dans ce cas, il pourra le renforcer ou fabriquer ses propres ancrages. D’autre part, parce qu’un ancrage n’est jamais suffisamment puissant pour obliger quelqu’un à faire quelque chose qu’il ne souhaiterait pas. Cela veut dire qu’en dehors de la fiction, quelqu’un ne peut être sous la contrainte totale d’un hypnotiseur malveillant. Dans la vraie vie, l’hypnothérapeute du film Hypnotic ne parviendrait pas à prendre le contrôle de sa patiente et encore moins la forcer à commettre des actes qui la mettraient en danger. Les clichés ont pourtant la vie dure et il m’arrive assez souvent de recevoir des patients qui m’expliquent avoir longuement hésité avant de venir en consultation du fait des avertissements de leur entourage sur les dangers de l’hypnose. Bien souvent, j’utilise la plaisanterie pour désacraliser cette vision des choses en expliquant que si un tel pouvoir existait, il me suffirait de fabriquer un ancrage auprès de mon banquier pour effectuer ensuite des retraits qui ne seraient pas débités de mon compte. Malgré ces propos rassurants, le doute persiste et on ne peut que faire le constat d’une image de l’hypnose en décalage avec la réalité : image véhiculée par des films misant sur le spectaculaire pour ne pas dire le surnaturel. Cela ne manque pas d’ironie, quand on sait que le monde de la communication et notamment celui de la publicité maîtrise parfaitement les neurosciences pour influer nos décisions. On parle alors de neuro-marketing. Ce même neuro-marketing dont l’efficacité est décuplée lorsqu’elle est couplée à un profilage assez fin grâce aux données récupérées sur les réseaux sociaux. Dans ce cas, nul besoin d’hypnose pour guider une décision ou inciter à acheter tel produit plutôt qu’un autre. Quand bien même vous connaissez les techniques de manipulation mentale, vous vous ferez avoir.
Enfin, les films sur l’hypnose véhiculent souvent l’idée que celle-ci permettrait de faire ressurgir des souvenirs enfouis. Sous la conduite d’un hypnotiseur, le patient est susceptible d’accéder à des souvenirs cachés, la plupart du temps traumatisants. Grâce à ces « souvenirs » retrouvés, le patient va enfin pouvoir résoudre ses problèmes et remettre de l’ordre dans sa vie. Dans les années 70 cette croyance était malheureusement partagée par beaucoup de juges américains, au point d’envoyer pas mal d’innocents en prison. En toute bonne foi, les témoins étaient mis sous hypnose et rapportaient de faux souvenirs, soit inventés, soit suggérés involontairement lors des interrogatoires de la police. Il aura fallu les travaux de chercheurs, notamment ceux d’Elisabeth Loftus, pour comprendre que le fonctionnement de la mémoire était bien plus complexe, pour ne pas dire subtil. La mémoire humaine est dynamique, dépendant de nombreux processus complexes de perception et d’encodage, de stockage puis d’accessibilité et de rappel de l’information. Non, l’hypnose ne permet pas d’accéder à des souvenirs cachés précis. Elle peut tout au plus faire remonter des fragments qu’il faudra manipuler avec précaution, car bien souvent restitués avec pas mal d’erreurs.
Pour aller plus loin sur les faux souvenirs :